Mardi 27 Janvier 2009
01h16
De la chrématistique
L’attaque de cette pratique m’ayant échue, je vais je l’espère m’en montrer digne.
Avant de commencer et bien que ceci n’intéresse en rien l’argumentaire à venir, je me dois de te faire part de deux craintes. La première étant, soucieux de prévoir tout mauvais coups, de me laisser aller au débat en traitant d’un éventuel bien fondé (qui, il est vrai n’est pas à exclure même si cela peut mettre à mal ma position, mais j’aurais l’occasion de m’étendre davantage sur celui-ci afin de montrer qu’il n’en est rien) en même temps que du vice certain de cette pratique. En effet, tout sujet implique des concessions sur certains points. Je ne peux concevoir qu’un esprit soit à ce point étroit pour réfuter tout argument de manière aveugle. Ces concessions (et cela je ne me cache de le dire car l’esprit avisé qui est le tiens connaît bien entendu la technique que je vais exposer ) seront au contraire un appuis à mes idées. Fort de ces constats je pourrais m’avancer davantage en avant et ce de manière sereine puisque mes arrières seront dès lors en sûreté. Cependant, ceci pourrait me mener à te voler une part de ta propre argumentation (ou que je devine être ta propre argumentation). Aussi me bornerais-je à ce qui me revient de droit, l’attaque. Du moins vais-je m’y efforcer. Le second point qui m’effraie, réside en une éventuelle banalité de mon argumentation. En effet, un panel d’idées me submerge, pourtant j’en connais déjà les défauts. Aussi me faudra t-il me jouer de ceux-ci et faire au mieux.
Néanmoins, ne considère pas ce petit préambule comme le son de la victoire qui t’advient. Ne perds pas d’esprit que si je me livre à de telles confessions c’est que j’éprouve suffisamment d’assurance pour le faire. Aussi la réutilisation de ces propos à ton avantage sera t-elle vaine et c’est ce que je vais à présent te démontrer.
De la chrématistique
En premier lieu il me faut définir ce qu’est cette pratique. Il faut savoir que celle-ci fut créée par Aristote, en voici la définition : « pratique visant à l’accumulation de moyens d’acquisition en général, plus particulièrement de celui qui accumule la monnaie pour elle même et non en vue d’une fin autre que son plaisir personnel. » (Source : Wikipédia ; Chrématistique).
De celle-ci il nous faut considérer deux formes : la chrématistique naturelle (liée à la nécessité de l’approvisionnement de la famille et que l’on pourrait élargir aujourd’hui à la société ou à l’Etat) ; la chrématistique commerciale (liée à l’accumulation de la monnaie pour la monnaie).
C’est précisément cette dernière qui nous intéresse.
Dans un premier temps observons le jugement de son père fondateur (non pas de la pratique en elle même mais de la désignation de celle-ci).
- Citation :
- La Politique – Livre I – Chapitre 4
Paragraphe 17
« L’acquisition commerciale n’a pas même pour fin le but qu’elle poursuit, puisque son but est précisément une opulence et un enrichissement indéfinis ».
Paragraphe 23
« L’argent ne devait servir qu’à l’échange. »
« L’intérêt est de l’argent issu d’argent, et c’est de toutes les acquisitions celle qui est la plus contraire à la nature. »
Propos peu reluisant tu en conviendras lorsque ceux-ci viennent de la plume du précepteur d’Alexandre le Grand.
Retenons tout particulièrement cette phrase « l’argent ne devait servir qu’à l’échange. » Ceci va bien entendu de soit ! il faut se garder de tomber en certains travers tel les mouvements anti-capitaliste modernes. Bien entendu n’allons pas confondre le capitalisme actuel et l’acquisition primitive de biens visant à assurer la pérennité de la famille. La recherche de cette dernière ayant mené au cours des siècles à l’avènement de la première. En effet il serait ridicule de renier en bloc la place de l’argent dans notre société. Celui-ci est né d’une nécessité, c’est ce que nous dit Aristote :
- Citation :
- La politique – Livre I – Chapitre 4
Paragraphe 13
« A mesure que ces rapports de secours mutuels se transformèrent en se développant, par l’importation des objets dont on était privé et l’exportation de ceux dont on regorgeait, la nécessité introduisit l’usage de la monnaie, les denrées indispensables étant, en nature, de transport difficile. »
Nous le voyons donc, l’argent a toute sa place dans la société et c’est tout naturellement qu’il y est né. Néanmoins certains réfractaires pourraient encore trouver l’argument trop léger. En effet, bien que philosophe réputé, Aristote ne fut pourtant pas épargné par la critique. Aussi est-il normal que certains n’accordent que peu de crédit à ses propos. A ceux-ci, je ne dirais qu’une chose : comment expliquez vous qu’au travers des millénaires, puisque l’argent est selon vous responsable des maux de l’Homme, ce dernier n’ai pas trouvé un moyen de s’en passer ? Ou encore, pourquoi n’a t-il fait l’effort de trouver un tel moyen ? L’humanité entière serait-elle idiote, l’Homme serait-il à ce point sot pour ne pas chercher à s’extirper de la cause de ses malheurs ? Une telle pensée revient à renier purement et simplement l’intelligence de l’homme, ce qui est une aberration.
Ainsi l’argent et son utilisation et même plus particulièrement l’économie ont-ils leur rôle à jouer dans notre société. Cependant, l’argent et la soif de l’argent peuvent mener à ce qu’il y a de plus nocif et de plus méprisable. C’est la chrématistique proprement dite.
Autant il est aisément compréhensible que l’on veuille gagner de l’argent pour se nourrir, s’habiller, se loger. Autant il est incompréhensible et aberrant de l’engranger jusqu’à la démesure. Ce phénomène existe depuis bien longtemps et existe toujours.
Je veux bien admettre que de fortes sommes d’argent sont parfois nécessaire à la réalisation d’une quelconque entreprise. Mais l’accumulation de millions, voir de milliards en devises monétaire. Où réside l’intérêt ? Au contraire un tel comportement peut mener à tout les excès et être préjudiciable aux individus, qu’il s’agisse des concernés ou d’individus tiers.
Pour figurer la démesure d’un tel état d’esprit visant à accumuler l’argent par l’argent je vais citer quelques chiffres.
Bernard Arnault (PDG de LVMH) a gagné près de 4 millions d’euros en 2006 (Source : magazine Capital) ; sa fortune est estimée à près de 20 milliards d’euros (Source : émission Mots Croisés – France 2).
Le président de la banque Goldman Saxe a reçu 68 millions d’euros de bonus en 2008 ( Source : émission Mots Croisés – France 2).
Le fond Madoff qui a détourné près de 50 milliards de dollars (et ce dans quel but ? Celui de faire prospérer une entreprise bénéficiaire ou les générations à venir d’un illuminé ?).
Arcelor Mittal qui malgré un bénéfice net de 8 milliards d’euros se permet de procéder à des licenciements (Source : émission Mots Croisés – France 2).
Où est donc l’humanité là-dedans ? Où se trouve le soucis de ses semblables ? Combien de personnes se retrouvent ruinées suite à l’épisode Madoff ? Combien de familles se retrouvent au chômage malgré de forts bénéfices d’Arcelor Mittal ? Je conçois qu’il puisse s’agir d’un choix stratégique visant à prévenir les éventuels sursauts de la crise financière des subprimes, mais lorsque l’on sait que les bénéfices d’Arcelor Mittal étaient du même ordre l’année précédente, où réside alors la stratégie ?
Mais puisque nous citons les subprimes, attardons nous y quelques instants. Crise qui a débuté il y a maintenant un an et demi suite à des crédits immobiliers à risque distribués à tout va. L’appât du gain a purement et simplement tout éclipsé. Les banquiers et traders n’ont tout simplement pas tenu compte des risques ! Et ceci est plus invraisemblable qu’ils jouaient avec un argent qui ne leur appartenait pas ! Ces hommes ont tout bonnement perdu de vue toute notion de responsabilité et de sécurité. Voilà les dangers de l’appât du gain. Voilà pourquoi la chrématistique est une pratique à réprouver. Celle-ci fait oublier aux hommes la prudence avec laquelle il faut agir et cela nous est à tous préjudiciable.
Mais pire encore, cette économie débridée qui aux origines était au service de l’Etat, de la communauté, est aujourd’hui source d’un égoïsme sans borne. Prenons cet exemple d’un trader américain qui disait à peu près ceci : « on a créé un monstre, vivement la retraite et qu’en attendant on puisse rafler ce qu’il y a à rafler » (Source : Le Zapping – canal +). Des aveux même d’un initié « nous avons créé un monstre ». Ceci est je pense suffisamment éloquent.
Et que dire de ces émirs qui plein de pétrodollars possèdent autant de voitures qu’une petite bourgade ? (à la différence que la petite bourgade ne possède pas de Ferrari ou d’Aston Martin). Que dire de leur W-C en or et en diamant ? N’est-ce pas pure folie ? Qui peut justifier un tel comportement ?
Sans leur demander de mettre un terme à la faim dans le monde, ceux-ci ne pourraient-ils pas reverser cet argent à leurs propres entreprises ? Celles-ci pour prospérer ont besoin de fonds. Bernard Arnault ne ferait-il pas mieux de diminuer ses bonus au profit de son entreprise plutôt que de stocker un argent dont il ne sait que faire (car il faut avouer, avec 20 milliards d’euros de fortune personnelle on voit venir !).
Bien entendu me diras-tu, cet investissement va apporter davantage d’argent (c’est d’ailleurs le but d’un investissement). Mais il n’est pas besoin d’investir, ces PDG ne peuvent-ils se contenter d’améliorer le cadre de vie de leurs employés ou créer de l’emploi (à condition bien entendu que la conjoncture soit favorable, je suis suffisamment censé pour ne pas inciter quiconque à perdre de l’argent inutilement. L’accumulation à plus compter de l’argent est aussi dénué de sens que sa dilapidation sans motifs).
Que dire encore de ces PDG américains qui refusèrent la demande de Barack Obama qui consistait à remplacer leurs bonus de plusieurs millions de dollars en un dollar symbolique pour aider leurs entreprises à surmonter la crise ? Bien entendu ils ne sont pas fous. Car il faut être réaliste ! Qui aurait accepté alors que le pouvoir de l’argent rend aveugle ? Les plus vertueux seulement et c’est bien là le drame. Mais du moins ces PDG auraient-ils pu diminuer leurs bonus. Il n’en fut rien !
Aussi je signe, la chrématistique condamne toute vertu de l’Homme. Il n’y a plus de solidarité, de tempérance, d’humilité. Plus même de juste mesure. La chrématistique doit être réfreinée et tenu comme il se doit. On me dira que cela risque d’entraver l’économie générale. A ceci je répond : combien d’autres crises supporteront nous ?
La chrématistique est nocive et doit être contrôlé. Notre morale, si l’on prend le temps de l’écouter, ne cesse de nous le crier. Ceci tient tout simplement du bon sens. La course aveugle à l’argent nous ruinera aussi sûrement qu’elle ruinera notre âme.
NB : désolé pour une éventuelle inexactitude des sources, n'ayant pas internet en semaine je n'ai pu vérifier précisément certaines d'entre elles. Néanmoins je pense qu'elles sont correctes si ma mémoire ne m'a pas joué de mauvais tours.